On ne se souvient pas des jours, on se souvient des instants.
Cesare Pavese, Le Métier de vivre
Il est incroyable de voir comme le peuple, dès qu'il est assujetti, tombe soudain dans un si profond oubli de sa liberté qu'il lui est impossible de se réveiller pour la reconquérir : il sert si bien, et si volontiers, qu'on dirait à le voir qu'il n'a pas seulement perdu sa liberté mais bien gagné sa servitude.
Etienne de La Boétie, Discours de la servitude volontaire
La liberté, c'est la possibilité de s'isoler. Tu es libre si tu peux t'éloigner des hommes sans que t'oblige à les rechercher le besoin d'argent, ou l'instinct grégaire, l'amour, la gloire ou la curiosité, toutes choses qui ne peuvent trouver d'aliment dans la solitude et le silence. S'il t'est impossible de vivre seul, c'est que tu es né esclave. Tu peux bien posséder toutes les grandeurs de l'âme ou de l'esprit : tu es un esclave noble, ou un valet intelligent, mais tu n'es pas libre.
Fernando Pessoa, Le Livre de l'intranquillité
En attendant, comme je te dois mon petit tribut quotidien, voici ce qui m’a aujourd’hui charmé dans Hécaton : « Tu demandes quels progrès j’ai faits ? Je commence à être l’ami de moi-même. » C’est un grand pas : Hécaton ne sera plus seul. Un tel homme, sois-en sûr, est l’ami de tous les hommes.
Sénèque, Lettres à Lucilius, Lettre VI. De la véritable amitié
Que les jours commencent et que les jours finissent, que le temps s'écoule, que ta bouche se ferme, que les muscles de ta nuque, de ta mâchoire, de ton menton, se relâchent tout à fait, que seuls les soulèvements de ta cage thoracique, les battements de ton cœur témoignent encore de ta patiente survie.
Georges Perec, Un homme qui dort
Si j’avais à écrire ici un livre de morale, il aurait cent pages et quatre-vingt-dix-neuf seraient blanches. Sur la dernière j’écrirais : "Je ne connais qu’un seul devoir, et c’est celui d’aimer." Et pour le reste, je dis non. Je dis non, de toutes mes forces.
Albert Camus, Carnets, tome 1 : Mars 1935 - février 1942
Ce que le transfert apporte à la parole de l’analysant est d’en faire un « véhicule » pour les objets internes enfouis au plus profond de l’âme, et de les transporter dans le monde extérieur où ils trouveront des objets d’amour qui se substitueront à eux et les délivreront de la lourde charge œdipienne les aliénant – à la mémoire des parents et, plus généralement, des ancêtres. La parole, dans la cure, travaille tout autant à la désexualisation du monde intérieur, où s’enracinent les névroses des hommes et leur mélancolie, qu’au gain de conscience que les couches supérieures du langage, l’intellect, l’esprit, apportent avec elles.
Le verbe pourrait être cette condition mystérieuse de la langue qui réunit ses différents états et fonctions. Le mot, appartenant à la pensée religieuse, est donc un « mot primitif » ; il pourrait recevoir de l’approche métapsychologique un renouvellement conceptuel qui enrichirait ce que Jean Laplanche a appelé « l’appareil théorético-pratique » soutenant l’écoute de l’analyste.
Cet ouvrage poursuit ainsi la recherche commencée par Langue et psyché, quant à la nature métisse de l’âme entre parole et psychisme.
Présentation du livre de Jean-Claude Rolland, Le verbe devant l'inconscient : nouvelles données métapsychologiques
Le Soi pourrait être caractérisé comme une sorte de compensation du conflit qui met aux prises le monde extérieur et le monde intérieur [...]. Ainsi le Soi est aussi le but de la vie, car il est l'expression la plus complète de ces combinaisons du destin qu'on appelle un individu [...]. Quand on parvient à percevoir le Soi comme quelque chose d'irrationnel, qui est, tout en demeurant indéfinissable, auquel le moi ne s'oppose pas et auquel le moi n'est pas soumis, mais auquel il est adjoint et autour duquel il tourne en quelque sorte comme la terre autour du soleil, alors le but de l'individuation est atteint.
Carl Gustav Jung, Dialectique du moi et de l'inconscient
Votre problème est de savoir comment vous allez passer cette unique et précieuse vie qu'on vous a donnée. Si vous aller la passer à essayer d'avoir une belle apparence et à créer l'illusion que vous avez du pouvoir sur les événements, ou bien si vous allez la savourer, en profiter et découvrir la vérité sur vous-même.
Anne Lamott, conférence inaugurale à Berkeley
Renoncer aux choses est moins difficile qu’on ne croit : Le tout est de commencer. Une fois qu’on est arrivé à faire abstraction de quelque chose qu’on croyait essentiel, on s’aperçoit qu’on peut se passer aussi d’autre chose, et puis encore de beaucoup d’autres.
Italo Calvino, Si par une nuit d'hiver un voyageur
J'entends si souvent « quand on veut on peut ». Comme si tout était question d'hyperactivité de la volonté, comme si celui qui n'y parvenait pas devait être relégué au rang de bête sauvage par une société qui consomme le désir comme le temps.
Marie Robert, compte Instagram @philosophyissexy
Il [Wilfred Bion] reprend et modifie la théorie freudienne du pare-excitation. Au lieu de considérer le pare-excitation comme une couche cornée inorganique qui protège l'appareil perception-conscience des excès de stimulations externes et permet, grâce à leur projection à l'extérieur, de traiter les stimuli désagréables internes comme des stimulations externes, il en fait un appareil vivant, un transformateur des agrégats de stimuli en matériau psychique susceptible d'entrer dans des combinaisons de scénarios fantasmatiques ou de raisonnements abstraits. Ce pare-excitation (ce que Bion appelle la fonction alpha) commence par être situé dans l'appareil psychique de la mère. On sait que selon Bion, les projections du nourrisson ne se perdent pas dans l'espace. Elles sont adressées par identification projective à une cible, l'agent maternant préconçu, qui les accueille, les contient et les transforme par son activité mentale, dite de rêverie. La rêverie maternelle est la matrice du pare-excitation de l'enfant (de sa fonction alpha). C'est en introjectant l'activité de rêverie de la mère que l'enfant devient à son tour capable de traiter et de transformer en pensées aussi bien les stimulations venant de l'extérieur (ses perceptions) que les excitations venant de l'intérieur d'amour ou de haine, le sujet établit un lien de connaissance, le lien K, qui lui permet d'ordonner son monde intérieur et son environnement, de choisir des points de vue (Bion dit des vertex) et des faits significatifs « choisis » pour passer du chaos de la position dite dépressive, processus de construction, de déconstruction et de reconstruction successives, sous-tendu par une « capacité négative » à tolérer l'incertitude, un terme emprunté au poète anglais Keats.
Jacques Hochmann, Le plaisir de penser, préface à La psychopathologie aujourd'hui
Dans la théorie psychanalytique, nous admettons sans hésiter que le principe de plaisir règle automatiquement l'écoulement des processus psychiques ; autrement dit, nous croyons que celui-ci est chaque fois provoqué par une tension déplaisante et qu'il prend une direction telle que son résultat final coïncide avec un abaissement de cette tension, c'est-à-dire avec un évitement de déplaisir ou une production de plaisir.
Sigmund Freud, Au-delà du principe de plaisir
Mais le moi, n'étant que le centre du champ conscientiel, ne se confond pas avec la totalité de la psyché : ce n'est qu'un complexe parmi d'autres. Il y a donc lieu de distinguer entre le moi et le Soi, le moi n'étant que le sujet de ma conscience, alors que le Soi est le sujet de la totalité, y compris l'inconscient. En ce sens le Soi serait une grandeur (idéelle) qui comprend en elle le moi. Il apparaît volontiers dans l'imagination inconsciente sous l'aspect d'une personnalité supérieure ou idéale, un peu comme le Faust de Goethe, ou le Zarathoustra de Nietzsche.
Carl Gustav Jung, Types psychologiques
Elle [la psychanalyse] n’est plus qu’une vieille dame qui sent encore le soufre et dont les charmes l’ont abandonnée. Au temps de sa splendeur, elle conviait chacun à la modestie de se savoir limité, en échange d’un surcroît de liberté de penser et d’agir. Le sujet, s’avouant bien peu maître de soi autant que de son environnement, ne pouvait alors que compter sur son désir pour continuer à investir le monde et les autres.
Depuis, la postmodernité nous a expliqué que tout individu possède en lui la puissance nécessaire à atteindre un épanouissement, gage de jouissance sans fin. Il lui suffit de se donner les moyens de ses ambitions ! Celui qui passerait malheureusement à côté du succès ne pourrait s’en prendre alors qu’à lui-même et sombrer dans la disqualification narcissique que l’on nomme dépression ou encore chercher à l’extérieur le responsable de son échec en s’identifiant comme victime. A l’extrême opposé de la psychanalyse, le développement personnel convient bien mieux à cette anthropologie postmoderne de l’illusion.
Marcel Sanguet, Qui s'intéresse aujourd'hui à la psychanalyse ? Blog consacré à la série "En thérapie", site des éditions Erès
Aujourd’hui, la psychiatrie se trouve hantée et divisée par deux logiques inconciliables, l’une se réfère au pathei mathos de la connaissance tragique de la psychanalyse, la connaissance dans et par la souffrance, l’autre à l’objectivation et à l’expertise des comportements, à leur neurozoologie, à leur classification et à leurs quantification à même d’établir des diagnostics-cibles pour les molécules chimiques et les thérapies cognitivo-comportementales. Ces deux logiques inconciliables établissent deux conceptions irréductibles l’une à l’autre du diagnostic de la psychopathologie et de l’humain.
Roland Gori, La psychopathologie en questions aujourd'hui
Le trauma est sans doute l’une des notions les plus indécises de la psychanalyse, voire des plus équivoques, et sans doute des plus énigmatiques. Cela tient à l’ambiguïté de ses confluences placées à la rencontre du dedans et du dehors, à la dynamique d’excès, de rupture et de perte, à sa fonction d’alarme et de protection comme à son pouvoir d’effraction. Agent d’une réalité dont la puissance et la source demeurent incertaines, le trauma est l’occasion d’entrevoir ce qui peut agir "au-delà du principe de plaisir" et de son principe ; il a la brutalité de l’évidence, comme l’évanescence de l’aléatoire – c’est-à-dire qu’il fascine depuis qu’il est apparu dans le corpus analytique, avant même que celui-ci ne se constitue.
Claude Le Guen, Introduction in Claude Janin, Figures et destins du traumatisme
Le travail sur l'inconscient nous devons en premier lieu le faire pour nous-mêmes. Il profite indirectement à nos patients. Le danger est le délire prophétique qui survient souvent lorsqu'on s'occupe de l'inconscient. C'est le diable qui dit : « Méprise donc la raison et la science, force suprême des humains. » Il ne faut jamais l'oublier, bien que nous soyons contraints de reconnaître l'irrationnel.
Carl Gustav Jung, Lettre à J. B. Lang du 17 janvier 1918
Penser que le bonheur puisse se travailler grâce à des exercices, c'est aller droit à l'échec. Le bonheur est quelque chose qui vous surprend. Il provient de l'accomplissement de souhaits qui remontent à l'enfance, de l'amour que vous donnez à l'autre et que l'autre vous porte et à la façon dont vous investissez le monde et découvrez les autres.
Sophie de Mijolla-Mellor, propos recueillis par Christine Angiolini, Psychologie positive : le bonheur à portée de main, Le Monde, février 2012
Sigmund Freud, le plus irreligieux des hommes, devait découvrir à la fin de sa vie que la mystique et la psychanalyse visaient.... un point commun. Comment serait-ce possible ?
Puisque le principe de plaisir commande notre vie psychique, nous sommes assujettis à deux espèces de bourreaux, dit -il en substance : nos pulsions et les objets supposés les satisfaire. Face au malaise de la civilisation qui profite de ce principe et l'exacerbe, et avant la catastrophe de la Shoah, le docteur viennois commence à entendre chez ses patients un « au-delà du principe de plaisir » : c'est la pulsion de mort. Question : existe-t-il un au-delà de la pulsion de mort ? Une sorte de re-naissance, de résurrection ? Les mystiques témoignent de cette aventure psychique et physique: non pas « au-delà » mais, en les traversant, ils se soucient du désir à mort et se mettent à l'écoute de la pulsion de mort. Dans la terminologie de sa nouvelle science, Freud dira que, par l'expérience mystique, des « rapports autrement inaccessibles » s'établissent entre « le Moi et les couches profondes pulsionnels du Ça » .
Et c'est ici que, brusquement, sous la plume de ce juif athée, tombe la formulation extravagante: la psychanalyse se choisit « un point d'attaque similaire » ». Le Moi de l'analysant, affranchi de la tutelle du Surmoi, élargit ses perceptions et se consolide de manière à s'approprier des fragments du Ça. « Là où C'était, le Moi doit advenir ». Tel serait le travail de la civilisation: à long terme, peut-être impossible, comme l'assèchement du Zuidersee. Nous sommes en 1932, Freud écrit ses Nouvelles conférences sur la psychanalyse. La nuit tombera bientôt sur l'Europe et le monde. Mais Freud n'abandonne pas son archéologie du « point d'attaque similaire » entre psychanalyse et mystique. Peu avant sa mort, le 22 août 1938, le dernier mot de sa main trace cependant une ligne de démarcation dans cette similitude troublante : « Mysticisme: autoperception obscure du règne, au-delà du Moi, du Ça ». Entendons : plongée et perte du Moi dans l'autoperception du Ça (côté mystique) ; mais réorganisation du Moi par une interminable élucidation du Ça (côté psychanalyse). Va-et-vient fragile, risqué, indécidable ? Sans adhérer à l'expérience mystique, sans l'ignorer non plus, l'écoute analytique donne sens à sa jouissance.
Julia Kristeva, La séduction mystique
Comment se présente la maladie créatrice ? Souvent comme une névrose banale, qualifiée de « neurasthénie » ou de tout autre diagnostic conforme aux théories psychiatriques du jour. On observe des symptômes de dépression, d'épuisement, d'irritabilité, de l'insomnie, des maux de tête, des névralgies. Plus rarement, la maladie créatrice prend l'allure d'une psychose plus ou moins grave, ou encore revêt le caractère d'une maladie psychosomatique. Dans tous les cas, cependant, elle se distingue par quelques traits caractéristiques. Généralement, le début succède à une période de travail intellectuel intense, à de longues réflexions, à des méditations, peut-être encore à un travail plus technique tel que la recherche et l'accumulation du matériel intellectuel.
Pendant la maladie, le sujet est généralement obsédé par une préoccupation dominante qu'il laisse parfois apparaître mais cache souvent. Il est préoccupé par la recherche d'une chose, d'une idée qui lui importe par-dessus tout et qu'il ne perd jamais complètement de vue.
La terminaison est vécue non seulement comme libération d'une longue période de souffrances, mais comme une illumination. L'esprit du sujet est alors envahi par une idée nouvelle qui lui apparaît comme une révélation ou un ensemble de révélations. La guérison est souvent brusque, à tel point que le sujet peut en donner la date exacte. Elle est généralement suivie d'un sentiment d'exaltation, d'euphorie et d'enthousiasme si intenses que le sujet peut arriver à se sentir dédommagé d'un seul coup de toutes ses souffrances passées.
Henri F. Ellenberger, Traité d'anthropologie médicale
Il est convenu de se plaindre du babélisme des langues psychanalytiques sans voir que cette diversité signe d'abord l'impossibilité de s'en tenir au point de vue unitaire, quel qu'il soit. Ce qui est dogmatiquement possible de l'intérieur d'une théorie, ne l'est plus dès lors que l'on se frotte aux incertitudes de l'expérience pratique.
Jacques André, La revanche des méduses
Ce n’est pas moi qui ai un corps, c’est la Matière qui se transforme en moi.
Ce n’est pas moi qui vis, c’est la Vie qui se vit en moi.
Ce n’est pas moi qui pense, c’est l’Esprit qui se pense en moi.
Notre corps doit se connecter à la Substance.
Notre vie doit se connecter à l’Intention.
Notre pensée doit se connecter avec l’Esprit.
Marc Halévy, Qu'est-ce qui arrive à... la Spiritualité ?
On croit souvent que la spiritualité se doit d'être grave et austère, comme si l'importance de l'enjeu excluait nécessairement la gaieté et l'humour. Or, le rire est l'expression spontanée de l'expérience intérieure et il revêt de surcroît une fonction d'éveil.
Eric Edelmann, Le sourire de la sagesse
Samuel Dock : Dans L'Horloge enchantée, vous dites que le personnage principal du couple est le Temps.
Julia Kristeva : En effet. Mais comment ? Avec ses différences et ses autonomies, le couple ne dure que si le soin en devient une composante majeure. À ne pas confondre avec le maternage. La reliance est une expérience qui incombe aux deux sexes. Elle est au cœur de l'humanisation, je crois - rien de moins ! Il s'agit de prendre conscience de l'ambivalence des pulsions et des passions : attachement et agressivité, amour et haine, et de les transformer en lien, en possibilité de parler et de penser. La reliance opère contre l'emprise maternelle, pour que, au contraire, la séparation devienne possible et que l'autonomie favorise de nouvelles rencontres. Je t'écoute, tu m'écoutes, je t'entends, tu m'entends, ça nous change. Tu me fais confiance, je varie. Tu mûris. Une thérapie régénérative. Dans reliance, il y a « confiance » et « re-commencement » du lien.
Julia Kristeva, Je me voyage, entretiens avec Samuel Dock
Il me semble qu’avec la théorie de l’accomplissement de souhait, seule la solution psychologique serait donnée, non la solution biologique, ou pour mieux dire, métapsychique. (D’ailleurs je vais te demander sérieusement si je peux utiliser le nom de “métapsychologie” pour ma psychologie qui mène derrière la conscience.)
Sigmund Freud, Lettre à Wilhelm Fließ
Il faut au contraire concevoir que tout concept est comme un être vivant qui défend son organisme (l'espace qu'il occupe) contre les agressions de l'environnement, c'est-à-dire, en fait, l'expansionnisme des concepts voisins qui le limitent dans l'espace substrat : il faut regarder tout concept comme un être amiboïde, qui réagit aux stimilus extérieurs en émettant des pseudopodes et en phagocytant ses ennemis.
René Thom
Nous aimons penser que nos idées sont notre propriété personnelle, mais, tant que nous n'avons pas mis notre contribution à la disposition du reste du groupe, nous n'aurons pas la moindre chance de mobiliser cette sagesse collective qui pourrait nous mener à des progrès et à des développements nouveaux.
Wilfred R. Bion, Bion à New York et à São Paulo
Les bleus
Lorsque sur moi il pleut des coups
De poing et d’ta canne en bambou
Que l’rimmel coule le long d’mes joues
Que j’m’évanouie, que j’suis à bout
Je m’dis qu’les bleus sont les bijoux
Les plus précieux et les plus fous
Et si un soir, on n’est sans l’sous
J’pourrais toujours les mettre au clou
J’ai des émeraudes autour du cou
Des améthystes un peu partout
Si t’étais pas aussi jaloux
J’irai au bal, quel succès fou
J’arriverais couverte de bijoux
Qui étincelleraient de tout
Leur feu, j’vois d’ici l’œil jaloux
Des aut’ nanas et d’leurs matous
Tabasse-moi encore voyou
File m’en encore pour quelque sous
Vas y rentre moi dans le chou
Tellement j’ai mal, j’sens plus les coups
Oui mes bleus sont mes seuls bijoux
Y en a qu’j’ai payé un prix fou
Tu m’as tellement rouée de coups
Me voilà millionnaire de partout
C’soir t’es encore complètement saoul
Tu m’regardes avec tes yeux fous
Ça y est, voilà que tu m’secoues
Doucement mon amour, vas y mou
J’ai beau être de caoutchouc
Et même rebondir sous les coups
Un jour tu cass’ras ton joujou
Tu le regrett’ras, après coup
Paroles et musique de Serge Gainsbourg
Elle [la pandémie] a rendu la mort trop visible, trop flagrante, en même temps qu'elle a enfoui tout ce qui depuis toujours nous a aidé à la « vivre » - nos liens familiaux et sociaux, nos fêtes, nos rites funéraires, notre production artistique et culturelle, nos parcs, nos voyages... ; elle nous a plaqués, abrutis, devant la lumière bleuâtre des écrans, rendant évident notre besoin de signification, de sublimation, notre besoin d'un monde interne peuplé et d'un monde externe ouvert aux liens et aux avenirs possibles.
Ana de Staal et Howard B. Levine (Dir.), Psychanalyse et vie covidienne : détresse collective, expérience individuelle
J’aime le contraste, brouiller un peu les pistes et les repères. Le trop évident ne m’intéresse pas et puis, la vie, les choses, les gens sont complexes, constitués d’ombre et de lumière. Il y a dans “Pieds Nus”, du profane et du sacré, du chaos et de la sérénité, du vivant et du mort, de la souillure et de la pureté. Or, de cette rencontre inopportune naît une certaine harmonie. J’aime l’idée que ces univers puissent se compléter, s’équilibrer et finalement se réguler.
Emma Barthere, A la lumière des femmes par Julien Foulatier, Boum!Bang!, 30 janvier 2013
Les caractéristiques de l'expérience mystique ont été différenciées en sept types par Stace, en 1961. On peut y voir une description de l'expérience mystique universelle, une « expérience religieuse primordiale », dépassant et intégrant les clivages imposés par les religions « institutionnalisées ».
En voici la liste synthétique :
La psychanalyse ne conduit pas nécessairement à la santé, à un bien-être ou à un « mieux-être », elle reconnaît même de l'incurable dû à la condition humaine, un mal-être, une négativité, non de circonstance mais de structure. Par contre, correctement menée, elle pousse à découvrir ou inventer de nouveaux possibles et peut conduire à un « plus-de-vie », un « un plus-être » : être plus proche de son désir, de sa « vie propre », être dans plus de sentir, plus d'intensité, plus de liberté jaillissante... C'est en ce sens que la psychanalyse est une véritable expérience spirituelle, une preuve d'extension.. Freud, toujours en mouvement et évolution, avait commencé à le réaliser à la fin de sa vie. La psychanalyse est un voyage de découverte et de créativité dans l'in-time intimité de l' « l'être même du sujet », le « sujet de la vie » et sa métamorphose intérieure, loin de toute démarche scientifique ou philosophique, de tout psychologisme ou quelconque fonction psy, qui ont aujourd'hui le vent en poupe et envahissent tout.
Alain Amselek, Le livre rouge de la psychanalyse
Ce qui nous pousse à n'accorder aux philosophes, dans leur ensemble, qu'un regard où se mêlent méfiance et raillerie, ce n'est pas tant de découvrir à tout bout de champ combien ils sont innocents, combien de fois et avec quelle facilité ils se trompent et s'égarent, bref, quelle puérilité est la leur, quel enfantillage ; c'est de voir avec quel manque de sincérité ils élèvent un concert unanime de vertueuses et bruyantes protestations dès que l'on touche, même de loin, au problème de leur sincérité. Ils font tous comme s'ils avaient découvert et conquis leurs opinions propres par l'exercice spontané d'une dialectique pure, froide et divinement impassible (à la différence des mystiques de toute classe, qui, plus honnêtes et plus balourds, parlent de leur "inspiration"), alors que le plus souvent c'est une affirmation arbitraire, une lubie, une "intuition", et plus souvent encore un vœu très cher mais quintessencié et soigneusement passé au tamis, qu'ils défendent par des raisons inventées après coup. Tous sont, quoi qu'ils en aient, les avocats et souvent même les astucieux défenseurs de leurs préjugés, baptisés par eux "vérités".
Friedrich Nietzsche, Par-delà le bien et le mal
Ainsi, dans la séparation, l’objet s’éloignant jusqu’à n’être plus qu’un point à l’horizon, le Moi quitte son corps et le suit dans la fuite ; et les patients de se vivre comme n’existant plus, privés du sentiment de leur habitat en un corps qui n’est presque plus le leur et n’est plus qu’une sorte de dépouille sans existence, alors que leur âme endolorie continue à courir après l’objet qu’elle a perdu.
André Green, Le Corps, le sens
Si j'étais psychiatre, au malade qui souffre d'angoisse, je conseillerais, dès l'apparition de la crise, de lire le poème de Baudelaire, de dire bien doucement le mot baudelairien dominateur, ce mot vaste qui donne calme et unité, ce mot qui ouvre un espace, qui ouvre l'espace illimité.
Gaston Bachelard, La Poétique de l'espace
La question n'est plus aujourd'hui : « Comment puis-je me débarrasser de mon ombre ? » car on a suffisamment vu la malédiction qu'on encourt en n'étant que la moitié de soi-même. La question qu'il faut se poser est maintenant celle-ci : « Comment l'homme peut-il vivre avec son ombre sans qu'il en naisse toute une série de malheur ? » La reconnaissance de l'ombre fournit une raison à l'humilité et même à la crainte devant l'insondable nature humaine.
Carl Gustav Jung, Psychologie du transfert