vendredi 29 janvier 2016

C'est une folie d'haïr toutes les roses, parce que une épine vous a piqué,
D'abandonner tous les rêves, parce que l'un d'entre eux ne s'est pas réalisé,
De renoncer à toutes les tentatives parce qu'une a échoué.
C'est une folie de condamner toutes les amitiés, parce qu'une vous a trahi,
De ne croire plus en l'amour, juste parce qu'un d'entre eux a été infidèle,
De jeter toutes les chances d'être heureux juste, parce que quelque chose n'est pas allé dans la bonne direction.
Il y aura toujours une autre occasion, un autre ami, un autre amour, une force nouvelle.
Pour chaque fin il y a toujours un nouveau départ.

Antoine de Saint-Exupéry, Le Petit Prince

jeudi 28 janvier 2016

Je définis par le terme de psychose un fonctionnement psychique marqué par les caractères suivants :

1. La mise en place par le Je, en fonction de la relation qui le lit au porte-parole, d’une relation de cause à effet, ou d’un ordre de causalité, ou d’une cause des origines, qui font appel à ce que j’ai défini de causalité délirante. Par ce qualificatif j’entends la construction par le Je d’une causalité non partagée et non partageable par le discours de l’ensemble. Cette « pensée délirante primaire » sur la cause pourra rester enkystée et constituer alors l’idée délirante primaire ou la potentialité psychotique, ou bien elle pourra donner lieu, lors du déclenchement de la psychose, à une systématisation, partielle ou totale, selon que nous considérons le versant schizophrénique ou le versant paranoïaque.

2. Une relation entre pulsion de vie et pulsion de mort, dans laquelle la première est toujours en danger d’être submergée par la seconde. Exister, penser, aimer, investir, sont toujours pour le psychotique le résultat d’un compromis qui ne peut se préserver qu’au prix de concessions fort importantes faites à Thanatos.

3. La particularité de la réponse apportée par le porte-parole aux acquis que l’enfant doit à sa sensorialité et à ses perceptions va agir sur la manière dont s’opèrera chez ce dernier l’étayage du pulsionnel sur le sensoriel. Au moment où devrait se faire une séparation entre ces deux vecteurs – séparation toujours partielle il vrai, mais qui n’en est pas moins essentielle pour le fonctionnement psychique – persistera toujours le risque que la sensorialité se retrouve totalement asservie au pulsionnel. La conséquence en sera que le perçu perd toute possibilité de préserver une liaison « objective » avec la chose perçue (facteur tout à fait déterminant dans la survenue du phénomène hallucinatoire).

4. La présence d’idées délirantes concernant ce qui est cause de la réalité de soi et du monde. Ces idées pourront cohabiter avec ce que j’appelle un discours rationalisateur, qui n’est que la reprise en écho d’une série de stéréotypes, d’images d’Épinal, présents dans le discours de l’entourage et dans le discours culturel : tant que cette cohabitation est possible, nous serons confrontés a l’équivalent d’un délire en secteur, quand cette cohabitation n’est plus possible, nous serons confrontés à une systématisation du délire.

5. Le renoncement de la part du sujet à croire et même à espérer qu’entre lui et les autres existent des convictions partagées concernant le registre causal. L’absence de cet espoir nous est prouvée par les deux manifestations auxquelles nous avons affaire avant que ne s’ébauche l’investissement d’une relation analytique :
- le mutisme et ses variantes;
- le monologue délirant ininterrompu qui démontre qu’aucune réponse n’est plus attendue.

Piera Aulagnier, Les mouvements d’ouverture dans l’analyse des psychoses

mercredi 27 janvier 2016

L'analyse oscille entre deux illusions : celle d'un discours intégralement transmissible, intégrable au discours lui-même, un dire transcendental [...] et celle d'un incommunicable, où l'indicible échappe à la nature du langage : le non-dit transcendental. Entre les deux : la représentation et l'affect, c'est à dire l'inconscient entre les mots et les choses.

André Green, Narcissisme de vie, narcissisme de mort

mardi 26 janvier 2016

Quel bonheur, quelle promesse de bonheur dans la différence sexuelle ? Quelle chance que les femmes ne soient pas faites comme nous, les hommes ! Etre emporté hors de soi certes peut rendre fou, de colère, de dépit, mais nous permet aussi d'être traversé par un désir insensé, de connaître l'amour fou - ou sage s'il en existe.

J.-B. Pontalis, Elles

lundi 25 janvier 2016

Un schéma est une disposition qui prend sa source dans l'enfance et influence toute notre vie. Il est issu de ce que nous ont fait subir notre famille ou nos jeunes amis. Nous avons été abandonnés, critiqués, surprotégés, victimes d'abus, du rejet de notre entourage ou de privations, toutes choses qui ont entraîné des traumatismes. Au bout d'un certain temps, le schéma s'intègre étroitement à notre personnalité. En renonçant à un schéma, nous renoncerions à à la sécurité de savoir qui nous sommes et de quoi le monde est fait. Ces certitudes, tôt acquises, familières et rassurantes, privent l'avenir de ses aspects aléatoires et incertains. Etrangement, elles nous aident à nous sentir en sécurité.

Aaron Beck, Cognitive therapy and the Emotional disorders

vendredi 22 janvier 2016

Ce que les spécialistes des TCC appellent des “troubles” (disorders) qu’il faut faire disparaître, sont pour les psychanalystes des symptômes qu’il faut d’abord interroger en tant que témoins du fonctionnement psychique et du jeu des représentations inconscientes de l’économie pulsionnelle.

Bernard Brusset in Psychanalystes, qui êtes-vous ? Sous la direction de Roger Perron

mercredi 20 janvier 2016

Dissonance cognitive [en psychothérapie]

Un concept fondamental de la compréhension du changement est la dissonance cognitive. Il y a dissonance cognitive quand le patient prend conscience que ses attitudes diffèrent de celles d'un thérapeute qu'il estime. Il a alors le choix entre modifier ses attitudes pour se rapprocher de la personne estimée, déprécier l'autre, ou encore rompre la relation. La tâche du thérapeute dans ce dilemme consiste à garder suffisamment de valeur et d'influence aux yeux du patient pour que, en cas de dissonance, celui-ci accepte de remettre sérieusement en question son propre système d'attitude, plutôt que de rompre prématurément la relation ou de négliger le point de vue du thérapeute. Ce processus est analogue à la "perlaboration" et repose sur la compétence à maintenir le patient en contact cognitif avec le conflit. La qualité du lien relationnel et de l'alliance thérapeutique, rendue possible (...) prendront toute leur importance à ce stade-là. Un style relationnel et la possibilité de confronter et de modeler les attitudes est à la base d'une expérience émotive correctrice.

Olivier Chambon et Michel Marie-Cardine, Les bases de la psychothérapie

mardi 19 janvier 2016

Nous n’aspirons pas à l’éternité, sinon à celle de l’instant. Nous ne souhaitons pas être immortels mais nous avons la capacité d’être atemporels pour peu que demeurent présents en nous tous les âges de la vie et que nous nous refusions – je renouvelle un vœu formulé tout au long de ce livre en doutant qu’il ait la moindre chance d’être exaucé – à découper le temps.
Comme souvent c’est un enfant qui pose la question toute simple – et pourtant elle suscite en moi un léger vertige : « Est-ce qu’aujourd’hui sera hier, demain ? »

J.-B. Pontalis, Avant

lundi 18 janvier 2016

L’homme obsessionnel

Entre raison et sentiments, son cœur oscille sans cesse, mais ses idées morbides l’empêchent d’aimer librement.

Ces contradictions font de lui un être compliqué, torturé qui masque ses sentiments d’amour et refoule ses pulsions sadiques. Le sceau des contraintes qui marque sa personnalité le condamne à les exprimer d’une façon particulière.

Dans le film « Pour le pire et pour le meilleur», toute l’ambivalence du personnage de Melvin Duvall, écrivain misanthrope et sexiste, réside dans son activité d’auteur de romans à l’eau de rose que vient contredire son tempérament de rustre. L’homme, qui nourrit une peur panique du contact humain au point de se laver les mains cent fois par jour, change lorsqu’il tombe amoureux d’une mère célibataire. Pour elle, il se met en quatre après lui avoir littéralement pourri la vie. Car, au fond, l’obsessionnel, capable des pires méchancetés, est comme n’importe qui, il rêve du grand amour … dont il a une peur bleue.

Sa vie affective s’en trouve négligée, voire totalement ignorée. Les vertiges de la passion, connaît pas. Point de chute éthylique pour l’obsessionnel qui préfère garder ses émotions à distance.
A la confusion des sentiments, il préfère la tranquillité de l’ordre, l’équilibre de la symétrie et la rigueur du rangement. Pour faire sortir le cloporte de sa tanière, il existe une solution : avoir des tas de problèmes et le faire savoir. Ce sera l’occasion pour lui de vous aider à les résoudre, non sans une certaine obséquiosité. Il adore se rendre utile. Et si ça ne suffit pas à l’attirer dans vos rets, débrouillez-vous pour le confronter à l’éventualité de votre propre mort. Dit comme ça, ça peut paraître un peu curieux, mais Freud nous enseigne que l’obsessionnel a besoin d’envisager la mort de l’autre pour le prendre en affection. Ça lui permet de gérer ses pulsions sadiques.

Son patient, « L’homme aux rats », participait avec beaucoup de piété aux deuils et restait à l’affût de la mort de personnes proches,  à tel point qu’on l’avait surnommé l’oiseau charognard. Mieux : il tuait des gens en imagination pour exprimer sa sympathie sincère aux parents du défunt.  Alors, si vous êtes mordue, troquez vos mascarades de femmes fatales qui le terrorisent contre des pauses de macchabées qui font démarrer son système limbique en trombe. Et si toutes ces manigances vous fatiguent,  laissez tomber. Tout comme l’hystérique, l’obsessionnel souffre d’un désir d’insatisfaction et n’est jamais à cours d’imagination pour tyranniser l’autre. C’est sa façon à lui d’être romanesque.

Emmanuelle Comtesse, www.emmanuellecomtesse.com

vendredi 15 janvier 2016

Nous avons en nous d’immenses étendues que nous n’arriverons jamais à talonner. Mais elles sont utiles à l’âpreté de nos climats, propices à notre éveil comme à nos perditions.

René Char, Les Matinaux

jeudi 14 janvier 2016

L'érotisme est l'une des bases de la connaissance de soi, aussi indispensable que la poésie.

Anaïs Nin, Etre une femme et autres essais

lundi 11 janvier 2016

On ne juge la valeur de certains moments que lorsqu'ils se font souvenir.

Iman Abdulmajid

vendredi 8 janvier 2016

L’éternité n’est guère plus longue que la vie.

René Char

jeudi 7 janvier 2016

Cerveau gauche, cerveau droit, un mythe neuronal

La localisation asymétrique de certaines fonctions cérébrales est une réalité connue depuis le 19e siècle. Mais l'idée d'attribuer à la dominance d'un hémisphère du cerveau la raison de dispositions intellectuelles ou caractérielles différentes est bien plus récente : on l'attribue à deux neurologues, Normal Geschwind et Albert Galaburda, qui publièrent en 1987 une hypothèse séduisante opposant le cerveau gauche "rationnel" au cerveau droit "intuitif" : selon que vous vous servez plus de l'un que de l'autre, vous serez donc comme ceci ou cela. En dépit du scepticisme de nombreux spécialistes, cette phrénologie moderne a connu, en raison de son dualisme simple, un grand succès médiatique, et reçu quelques appuis scientifiques (en France, Lucien Israël, Béatrice Millêtre). Hélas, le flop devait arriver : une étude publiée en 2013 montrait - imagerie cérébrale à l'appui - que tout le monde utilise ses deux hémisphères à peu près de la même façon.

Nicolas Journat, Magazine Sciences Humaines, "Numéro anniversaire 25 ans", n° 277, janvier 2016

mardi 5 janvier 2016

Aimer bien ses patients : condition nécessaire pour moi. Je vois bien ce qu'on pourrait me rétorquer : ne serait-ce pas pour être payé de retour, une façon de m'assurer que je suis aimé par eux ? N'empêche : je ne conçois pas comment je pourrais leur consacrer tant de temps, d'attention, vouer une si grande part de ma vie à écouter leurs plaintes, à faire mien, sans m'y confondre ce que Lagache appelait leur "monde personnel", si je ne pensais pas à ce qui les entrave - symptômes, inhibitions, répétition, narcissisme à vif -, que ce qui les rend captifs de leur névrose recouvre ce que je ne peux me représenter autrement que comme mouvement vers, même si la finalité de ce mouvement est de détruire - soi ou l'objet.
Un pari sur les forces de vie.
Serais-je plus médecin que je ne le crois ? Un médecin qui ne serait pas soumis à l'exigence de "guérir" mais porté par un besoin plus fort que celui qui ne vise qu'à rendre la vie vivable, supportable (ce qui implique une grande part de résignation). Faire en sorte que l'autre se sente, se veuille vivant. Je ne sais pas trop ce que j'entends par là. Peu m'importe.
La fameuse formule de Bichat : "La vie est l'ensemble des forces qui résistent à la mort." Juste mais un peu trop négative à mon goût. Alors, quoi ? L'"élan vital" de Bergson ? Un peu trop positif, cette fois. Freud, lui, a choisi un mot latin, libido, que n'ignoraient pas les Pères de l'Eglise : la libido peut se diriger vers les objets multiples, vers le savoir aussi bien que sur la vengeance, elle se déplace, elle ne tient pas en place, elle migre... Éros, plus civilisé et civilisateur, finalement, que libido, moins indomptable, moins sauvage, Éros qui vient aiguillonner, éveiller Psyché endormie. Éros est vif, joyeux. Libido, toxique, peut préférer la mort.

Aimer bien ses patients : conditions pour que le goût de vivre leur revienne et que les choses trouvent leur saveur, pour qu'à tout le moins ce qu'un peintre épris de couleurs appelait une "cordialité pour le réel" l'emporte sur l'hostilité, le rejet.
Aimer bien ses patients - pas trop, comme si ce trop était un mal, un amour destructeur pour soi comme pour l'autre. Les aimer bien, différent de, et même opposé à, vouloir leur bien. Ne rien exiger, mais se fier à ce qu'il y a de vivant en chacun.

J.-B. Pontalis, Fenêtres

lundi 4 janvier 2016

Dans la clinique, le récit du rêve n'occupe plus la position privilégiée qui lui a longtemps été réservée par rapport aux autres contenus du discours du patient, y compris la banale chronique des faits de la vie quotidienne. Mais ne nous trompons pas. S'il en est ainsi, c'est parce que, racontés dans le cadre de l'analyse, les événements de la réalité ou du passé sont interprétés comme s'il s'agissait de rêves faits en état de veille. Et c'est ainsi que le paradigme du rêve se voit attribuer un rôle encore plus central que dans la théorie classique.

Giuseppe Civitarese, Le rêve nécessaire