Laissez tout vous arriver : beauté et terreur. Poursuivez votre route. Aucun sentiment n'est définitif.
Rainer Maria Rilke, Le livre d'heures
Il [Wilfred Bion] reprend et modifie la théorie freudienne du pare-excitation. Au lieu de considérer le pare-excitation comme une couche cornée inorganique qui protège l'appareil perception-conscience des excès de stimulations externes et permet, grâce à leur projection à l'extérieur, de traiter les stimuli désagréables internes comme des stimulations externes, il en fait un appareil vivant, un transformateur des agrégats de stimuli en matériau psychique susceptible d'entrer dans des combinaisons de scénarios fantasmatiques ou de raisonnements abstraits. Ce pare-excitation (ce que Bion appelle la fonction alpha) commence par être situé dans l'appareil psychique de la mère. On sait que selon Bion, les projections du nourrisson ne se perdent pas dans l'espace. Elles sont adressées par identification projective à une cible, l'agent maternant préconçu, qui les accueille, les contient et les transforme par son activité mentale, dite de rêverie. La rêverie maternelle est la matrice du pare-excitation de l'enfant (de sa fonction alpha). C'est en introjectant l'activité de rêverie de la mère que l'enfant devient à son tour capable de traiter et de transformer en pensées aussi bien les stimulations venant de l'extérieur (ses perceptions) que les excitations venant de l'intérieur d'amour ou de haine, le sujet établit un lien de connaissance, le lien K, qui lui permet d'ordonner son monde intérieur et son environnement, de choisir des points de vue (Bion dit des vertex) et des faits significatifs « choisis » pour passer du chaos de la position dite dépressive, processus de construction, de déconstruction et de reconstruction successives, sous-tendu par une « capacité négative » à tolérer l'incertitude, un terme emprunté au poète anglais Keats.
Jacques Hochmann, Le plaisir de penser, préface à La psychopathologie aujourd'hui
Dans la théorie psychanalytique, nous admettons sans hésiter que le principe de plaisir règle automatiquement l'écoulement des processus psychiques ; autrement dit, nous croyons que celui-ci est chaque fois provoqué par une tension déplaisante et qu'il prend une direction telle que son résultat final coïncide avec un abaissement de cette tension, c'est-à-dire avec un évitement de déplaisir ou une production de plaisir.
Sigmund Freud, Au-delà du principe de plaisir
Mais le moi, n'étant que le centre du champ conscientiel, ne se confond pas avec la totalité de la psyché : ce n'est qu'un complexe parmi d'autres. Il y a donc lieu de distinguer entre le moi et le Soi, le moi n'étant que le sujet de ma conscience, alors que le Soi est le sujet de la totalité, y compris l'inconscient. En ce sens le Soi serait une grandeur (idéelle) qui comprend en elle le moi. Il apparaît volontiers dans l'imagination inconsciente sous l'aspect d'une personnalité supérieure ou idéale, un peu comme le Faust de Goethe, ou le Zarathoustra de Nietzsche.
Carl Gustav Jung, Types psychologiques
Elle [la psychanalyse] n’est plus qu’une vieille dame qui sent encore le soufre et dont les charmes l’ont abandonnée. Au temps de sa splendeur, elle conviait chacun à la modestie de se savoir limité, en échange d’un surcroît de liberté de penser et d’agir. Le sujet, s’avouant bien peu maître de soi autant que de son environnement, ne pouvait alors que compter sur son désir pour continuer à investir le monde et les autres.
Depuis, la postmodernité nous a expliqué que tout individu possède en lui la puissance nécessaire à atteindre un épanouissement, gage de jouissance sans fin. Il lui suffit de se donner les moyens de ses ambitions ! Celui qui passerait malheureusement à côté du succès ne pourrait s’en prendre alors qu’à lui-même et sombrer dans la disqualification narcissique que l’on nomme dépression ou encore chercher à l’extérieur le responsable de son échec en s’identifiant comme victime. A l’extrême opposé de la psychanalyse, le développement personnel convient bien mieux à cette anthropologie postmoderne de l’illusion.
Marcel Sanguet, Qui s'intéresse aujourd'hui à la psychanalyse ? Blog consacré à la série "En thérapie", site des éditions Erès
Aujourd’hui, la psychiatrie se trouve hantée et divisée par deux logiques inconciliables, l’une se réfère au pathei mathos de la connaissance tragique de la psychanalyse, la connaissance dans et par la souffrance, l’autre à l’objectivation et à l’expertise des comportements, à leur neurozoologie, à leur classification et à leurs quantification à même d’établir des diagnostics-cibles pour les molécules chimiques et les thérapies cognitivo-comportementales. Ces deux logiques inconciliables établissent deux conceptions irréductibles l’une à l’autre du diagnostic de la psychopathologie et de l’humain.
Roland Gori, La psychopathologie en questions aujourd'hui
Le trauma est sans doute l’une des notions les plus indécises de la psychanalyse, voire des plus équivoques, et sans doute des plus énigmatiques. Cela tient à l’ambiguïté de ses confluences placées à la rencontre du dedans et du dehors, à la dynamique d’excès, de rupture et de perte, à sa fonction d’alarme et de protection comme à son pouvoir d’effraction. Agent d’une réalité dont la puissance et la source demeurent incertaines, le trauma est l’occasion d’entrevoir ce qui peut agir "au-delà du principe de plaisir" et de son principe ; il a la brutalité de l’évidence, comme l’évanescence de l’aléatoire – c’est-à-dire qu’il fascine depuis qu’il est apparu dans le corpus analytique, avant même que celui-ci ne se constitue.
Claude Le Guen, Introduction in Claude Janin, Figures et destins du traumatisme
Le travail sur l'inconscient nous devons en premier lieu le faire pour nous-mêmes. Il profite indirectement à nos patients. Le danger est le délire prophétique qui survient souvent lorsqu'on s'occupe de l'inconscient. C'est le diable qui dit : « Méprise donc la raison et la science, force suprême des humains. » Il ne faut jamais l'oublier, bien que nous soyons contraints de reconnaître l'irrationnel.
Carl Gustav Jung, Lettre à J. B. Lang du 17 janvier 1918