lundi 8 octobre 2018

Un psychanalyste n'écoute pas sans douceur, même quand il est abrupt. Elle participe à un geste qui fait invitation à l'autre. Peut-être n'entendra-t-il rien parfois, peut-être rêvera-t-il ou s'absentera-t-il ou sera-t-il furieux contre celui qui l'oblige à se tenir là, face à lui. Peut-être ne comprendra-t-il rien à l'histoire qui lui est dite, à ce que trahit ce visage, cette voix.

Il reste que ce qui fait naître l'écoute est la possibilité d'une émotion en intelligence avec ce que l'autre ignore de lui-même. L'écoute (qui peut être flottante) que le psychanalyste garde envers celui qui lui parle, se plaint, souffre, s'essouffle, est une attention particulière aux détails : grains de voix, images évoquées par une hésitation, attitude, mots bizarrement assemblés, tics de langage. Il leur prête intelligence autant qu'à ce qui est signifié. Son apparente immobilité, son silence à peine appuyé, ses pensées, rien ne trahit son désarroi. Il résiste à la plainte qui envahit l'espace et d'abord le corps de l'autre qui est là devant lui et lui adresse sa mortification. Il résiste à l'histoire que le même refrain distille à la même heure, il résiste même à l'envie de savoir. Il essaie d'entendre autrement, d'aller débusquer les fantômes.

Anne Dufourmantelle, Puissance de la douceur