mercredi 14 juin 2017

L’épanouissement précoce de la vie sexuelle infantile devait avoir une très courte durée, en raison de l’incompatibilité des désirs qu’il comportait avec la réalité et avec le degré de développement insuffisant que présente la vie infantile. Cette crise s’est accomplie dans les circonstances les plus pénibles et était accompagnée de sensations des plus douloureuses. L’amour manqué, les échecs amoureux ont infligé une mortification profonde au sentiment de di­gnité, ont laissé au sujet une sorte de cicatrice narcissique et constituent, d’après mes propres observations et celles de Marcinowski, une des causes les plus puissantes du « sentiment d’infériorité », si fréquent chez les névro­tiques. L’exploration sexuelle, à laquelle le développement corporel de l’en­fant a mis un terme, ne lui a apporté aucune conclusion satisfaisante ; d’où ses doléances ultérieures : « Je suis incapable d’aboutir à quoi que ce soit, rien ne me réussit. » L’attachement, tout de tendresse, qui le liait le plus souvent au parent du sexe opposé au sien, n’a pas pu résister à la déception, à la vaine attente de satisfaction, à la jalousie causée par la naissance d’un nouvel enfant, cette naissance étant une preuve évidente de l’infidélité de l’aimé ou de l’aimée ; sa propre tentative, tragiquement sérieuse, de donner lui-même nais­sance à un enfant a échoué piteusement ; la diminution de la tendresse dont il jouissait autrefois, les exigences croissantes de l’éducation, les paroles sérieu­ses qu’il se voyait adresser et les punitions qu’on lui faisait subir à l’occasion ont fini par lui révéler toute l’étendue du dédain qui était désormais son lot. Cet amour typique de l’époque infantile se termine selon un certain nombre de modalités qui reviennent régulièrement.

Sigmund Freud, Au-delà du principe de plaisir