dimanche 8 avril 2012

En fait, sans rien renier de l'action opérante des élaborations interprétatives, onto- et phylogénétiques, tout clinicien se met ainsi à l’abri des mésinterprétations possibles […]. C’est grâce à Sándor [Ferenczi] que dans ma propre pratique j’ai été amené à faire plus volontiers usage des « foncteurs de vérité » de type conjonctif et non causal, par exemple :

- Tu parles de mariage parce que ta mère t’en parle sans cesse et t’en a toujours parlé…

Cela est une causale.

- Tu parles de mariage… Qui, dans ton entourage, parle de mariage ?

- Ma mère, répond Samia.

La seconde intervention est une conjonctive, non une causale. Elle est également confrontative.

L’intérêt de cette technique repose sur le désir de déjouer l’erreur : une même cause pouvant provoquer des effets différents, il est parfois hasardeux d’inférer une cause à partir d’un effet déterminé. La conjonctive peut être juste quand la causale est fausse.

Autrement dit, sur le plan de la logique de l’inconscient, il ne suffit pas que P soit vrai pour que je sois en droit d’affirmer que P est la conséquence de q. On a dit beaucoup de sottises sur les causes des névroses et des psychoses, en utilisant à tort des « foncteurs de vérité » comme : à cause de, afin de, dans le but de, etc.

Ferenczi à montré que l’attitude confrontative permet d’éviter le recours à des explications dont l’histoire ultérieure de la psychanalyse a montré qu’elles pouvaient être abusivement généralisées.

Prenant ici le parti de Ferenczi, je citerai quelques exemples d’assertions péremptoires et sidérantes :

1. « dans toute famille où quelqu’un souffre de psoriasis il y a eu un enfant mort… » (Michèle Montreley).

2. « Les enfants nains sont des enfants qui , inconsciemment , refusent de grandir… » (Ginette Raimbault).

3. « L’anxiété est à l’origine de coliques idiopathiques chez l’enfant… » (Léon Kreisler).

4. « Les désir de mort d’une mère sont à l’origine de l’autisme de son bébé… ».

5. « L’anorexique refuse ses repas parce que manger c’est absorber l’angoisse de sa mère… » (F. Dolto).

Heureusement, Piera Aulagnier s’est violemment insurgée contre de telles généralités, dans La violence de l’interprétation.

[…]

Certaines interprétations – notamment celles de Rank – parurent à Sándor d’une témérité burlesque et sacrilège.

Or, précisément, la confrontation ne présente pas de tels inconvénients. Les opérateurs thérapeutiques confrontatifs représentent un état de choses comme pouvant être réalisé par le patient, et ne relèvent ni d’une étiologie ni d’une sémantique du désir. Ils ne sont par porteurs, dans le transfert, des significations symboliques que surdétermine la série de traumas subis par un individu.

De ce fait, le sens d’un questionnement en séance est défini, non en référence au contenu manifeste ou latent des fantasmes ou représentations mentales d’un analysant, mais en fonction de ce que l’on nomme en linguistique pragmatique un « état de choses » lié aux conditions à remplir pour qu’il soit satisfait.

Claude Lorin, Sándor Ferenczi, de la médecine à la psychanalyse