mercredi 18 décembre 2019

Luca Nicoli — L’un de mes patients, élève d’une école de psychothérapie, explique à son enseignant qu’il a choisi de faire sa thérapie obligatoire avec un analyste qui utilise le divan et la réaction de son enseignant l’a glacé : « Mais le divan est démodé ! » La première question que je vous pose est presque rhétorique : le divan est-il démodé?

Antonino Ferro — Moi, j’aurais envie de dire : essayons et nous verrons! Si je devais donner une indication à l’un de mes petits-fils, je lui dirais que l’analyse ne dépend pas du lieu où l’on se place, mais de la manière dont deux personnes fonctionnement psychiquement ensemble. Tout comme le fait de s’allonger sur le divan ne confère pas le statut d’« analyse », le fait de ne pas s’allonger sur un divan ne lui ôte pas non plus. J’ai eu des patients dans les positions les plus étranges : il y a par exemple l’histoire de cette patiente qui ne voulait absolument pas s’allonger sur le divan et avec laquelle nous avons fait tout de même une longue période d’analyse. Nous nous voyions quatre fois par semaine en face-à-face, car elle se sentait trop persécutée à l’idée de ne pas contrôler la situation, mes réactions, les émotions que je pouvais avoir. Après un certain temps je lui ai dit : « Écoutez, moi, je me fatigue à rester ainsi, 50 minutes figé à nous regarder, si ça ne vous dérange pas, je me tourne… » Alors je me suis tourné dans mon fauteuil – qui a des roulettes – et, à partir de là, la patiente arrivait, s’asseyait et je lui tournais le dos. Cela a marché quelques mois, puis elle a évoqué le fait qu’il lui fallait déménager, qu’il était temps de changer, qu’elle voulait avoir une maison plus confortable, etc. Il me semblait évident qu’elle parlait d’un déménagement à faire dans notre analyse. Lorsque vint le jour convenu pour notre « déménagement », moi je m’attendais évidemment qu’elle prenne place sur le divan et que je puisse occuper mon fauteuil d’analyste, mais non : en arrivant, elle prit place sur mon fauteuil !... Et là j’aurais pu faire mille choses, donner sept mille interprétations en tous genres… Or, sans hésiter une seconde, je me suis allongé sur le divan, et nous nous sommes embarqués pour d’autres longs mois de travail analytique, moi sur le divan, elle derrière, dans mon fauteuil. Je signalais maintes fois à la patiente qu’elle ne savait pas ce qu’elle perdait, car c’était bien plus confortable de rester allongé sur le divan. Jusqu’au jour où elle fit un rêve dans lequel sa secrétaire occupait arbitrairement la place qui était la sienne. Quelques semaines après, elle me parlait à nouveau de déménagement et finalement celui-là fut le bon ; j’ai enfin occupé mon fauteuil d’analyste et la patiente s’est allongée sur le divan. Ce manège nous avait pris deux ans, mais cela ne nous a pas empêchés de faire un véritable travail d’analyse, une analyse tout à fait normale. L’important, c’est de savoir jouer.

Antonino Ferro, Pensées d'un psychanalyste irrévérencieux