vendredi 23 février 2018

Psychologie Magazine : Vous écrivez : “Se séparer de soi : tâche aussi douloureuse qu’inéluctable et même nécessaire pour qui ne consent pas à rester sur place et que porte le désir d’avancer, d’aller au-devant de ce qui, n’étant pas soi, a des chances d’être à venir.” Est-ce cela, changer vraiment ?

J.-B. Pontalis : Oui, c’est aller hors de ce qui est connu de soi. C’est ce que j’ai toujours cherché. Avant de devenir psychanalyste, j’étais prof de philo. Un jour – j’avais 29 ans –, une élève d’hypokhâgne m’a dit : « Ils sont bien vos cours, mais on a l’impression que vous n’y croyez pas vraiment. » Sur le moment, ça ne m’a pas fait beaucoup d’effet, mais après j’ai réalisé qu’elle disait vrai : je maîtrisais le langage, le discours, mais je n’habitais pas mes mots. Il me fallait d’abord me dégager de mes maîtres, notamment de Sartre qui, quoique généreux, était si écrasant… En me séparant de Sartre, puis de Lacan, à chaque fois je me suis séparé, « dé-pris » de celui que j’étais à ce moment-là et des concepts qui me portaient alors – vous savez, on peut aussi se retrouver enfermé dans des concepts. Ç’a été long avant que je me reconnaisse vraiment dans ma parole, dans ce que j’écrivais. Ainsi y a-t-il pour chacun à se dégager des différentes identifications qui jalonnent sa vie. C’est cela, être vivant : essayer de ne pas rester figé dans un âge, dans une position, et aussi être capable de naviguer, de faire des allers-retours dans les différentes époques de sa vie : retrouver l’enfant en soi, sa part de féminité, sa révolte adolescente… Alors, tous les âges se télescopent, comme dans les rêves, où un élément de la veille et des souvenirs des toutes premières années se mélangent. L’important, c’est que ça bouge.

Entretien avec J.-B. Pontalis pour Psychologies Magazine