mercredi 8 octobre 2014

Une nouvelle expression infiltre depuis quelque années le langage psychanalytique. Elle est horrible, et elle est partout : c'est le "transféro-contretransférentiel". Elle est horrible pas seulement pour l'oreille, mais en quelque sorte pour l’œil : on dirait des Japonais qui, se faisant la courbette, seraient comme pris dans un même lumbago.

L'expression est également affreuse pour la joie de penser : elle est particulièrement réductrice du terrain intermédiaire, de la langue intermédiaire, de ses ratés, de ses blancs, que l'analyse et le patient sont en train d'inventer pour atteindre ce qui n'avait pas eu de lieu psychique et qui va arriver dans l'analyse pour la première fois, comme une nouveauté absolue. Au lieu de cela, le contre-transfert, dans le bloc où on le tient collé au transfert, est devenu, comme le disait Pierre Fédida, une technique de la communication intersubjective. Pour ainsi dire, une hygiène relationnelle. De véritables politiques institutionnelles se constituent là-dessus, et on est loin de ce que Freud entendait sous le mot, lorsqu'il l'a inventé et qu'il s'agissait de l'envie de l'analyste de répondre à la passion amoureuse de quelqu'un qui ne va pas bien.  Mais il n'y a pas de position hygiénique dans l'analyse : il y a des moments de la cure où l'analyste voudrait combler les lacunes de sa propre mémoire grâce au transfert du patient, et d'autres moments où il est sur la défensive : dans les deux cas, il empêche de reconnaître le "monde à part" d'où émane le transfert.

Michel Gribinski et Josef Ludin, Dialogue sur la nature du transfert