La vraie jeunesse ne s'use pas
On a beau l'appeler souvenir,
On a beau dire qu'elle disparaît,
On a beau dire et vouloir dire que tout s'en va,
Jacques Prévert, La vie n'a pas d'âge
Chaque jour une citation psy
J'ai dit que la réaction thérapeutique négative est une «blessure narcissique» à la fois pour l'analyste et pour la psychanalyse. Lorsqu'on est aux prises avec une réaction thérapeutique négative, on s'aperçoit que si l'analyse marche bien, si elle progresse, le travail du négatif se subvertit et devient mortifère. Avec les transferts limites, on traverse plus ou moins habituellement, cycliquement, des mouvements négatifs très proches de ce qu'a décrit Freud. Ce sont des situations ou, aux yeux du patient, tout ce que fait l'analyste est forcément de mauvais augure pour soi-même : si l'analyste se tait, c'est parce qu'« il ne s'intéresse pas à ma personne »; s'il parle, c'est qu'« il veut m'imposer ses idées »; s'il accepte une modification pour faciliter les choses, c'est qu'« il souhaite m'humilier »... Tout ce qui vient de l'objet (de l'analyste) est négativé, rien ne trouve une signification positive. Tout est directement ou indirectement renvoyé à l'intérêt malveillant de l'analyste, à sa «volonté de puissance».
André Green, Dialoguer avec André Green, de Fernando Urribarri
On considère que les troubles de la pensée se trouvent au premier plan dans les cas-limites mais on pourrait presque en dire autant des névroses. L'hystérique, dit Freud, souffre de réminiscences ; chez l'obsessionnel, la sexualisation et la toute-puissance de la pensée sont centrales. Toutefois, cela renvoie toujours aux « pensées de désir », à la libido et aux fantasmes érotiques. Dans les cas-limites, en revanche, la pensée est totalement accaparée par le travail du négatif (sur ce point, je me sens proche de l'idée du «- C» bionien). C'est la raison pour laquelle je soutiens que le travail analytique avec les structures non névrotiques doit chercher à favoriser un fonctionnement apparenté à celui de la névrose. Le but est de transformer le délire en jeu, la mort en absence.
André Green, Dialoguer avec André Green, de Fernando Urribarri
[...] un homme comme moi ne peut vivre sans marotte, sans passion dominante, sans un tyran, pour parler comme Schiller, tel celui qui est devenu le mien. Désormais, à mon tour, je ne connais à son service aucune mesure. Il s'agit de la psychologie, depuis toujours le but qui me fait signe de loin, et qui maintenant, depuis que j'ai rencontré les névroses, s'est rapproché d'autant. Deux desseins me tourmentent : examiner quelle forme prend la doctrine du fonctionnement psychique quand on introduit le point de vue quantitatif, une sorte d'économie de la force nerveuse, et deuxièmement, dégager de la psychopathologie un gain pour la psychologie normale.
Sigmund Freud, Lettre du 25 mai 1895 à Wilhelm Fließ
En tant que psychanalyste, je suis frappé par le fait que le traitement psychanalytique de l'individu et l'analyse du groupe telle qu'elle est décrite dans les pages qui suivent s'attaquent à des aspects différents du même phénomène. La combinaison des deux méthodes fournit au praticien quelque chose comme les rudiments d'une vision binoculaire. Les observations peuvent être divisées en deux catégories dont l'affinité est mise en évidence par des phénomènes qui, considérés par le première méthode, sont centrés sur la situation œdipienne en rapport avec le groupe de couplage, et par la seconde, apparaissent centrés sur l'image du sphinx, symbole des problèmes de la connaissance et de la méthode scientifique.
Wilfred R. Bion, Recherches sur les petits groupes
Les découvertes de la psychanalyse font qu'il n'est plus possible de se contenter de la méthodologie des scientifiques et des philosophes des sciences, même avec les subtilités de la méthode produites pour contrebalancer leur propre insatisfaction. Le psychanalyste est dans la curieuse position d'étudier un sujet qui élucide la source la moins éliminéable de la recherche non scientifique, et ayant à le faire sans la commodité de penser que ses observations sont effectuées par une machine inanimée, laquelle, étant morte, ne peut qu'être objective. Mais il est clair que ne pas pouvoir se réjouir que les méthodes des scientifiques d'autres disciplines soient scientifiques fait diminuer, plutôt qu'augmenter, l'espoir du psychanalyste à faire mieux.
Wilfred R. Bion, Cogitations
L'observation nous montre que certains patients (tout comme de nombreux analystes) ne peuvent supporter l'état d'incertitude, de mystère ou de doute. Les patients se réfugient dans l'expulsion ou l'omniscience. Les analystes ont des réponses toutes faites. Je me souviens combien Bion a été frappé quand j'ai cité cette phrase de Maurice Blanchot : « La réponse est le malheur de la question. » Il a ensuite utilisé cette proposition à de nombreuses reprises.
André Green, Penser la psychanalyse
Avoir et être chez l'enfant. L'enfant aime bien exprimer la relation d'objet par l'identification : je suis l'objet. L'avoir est la relation ultérieure, retombe dans l'être après la perte de l'objet. Modèle : sein. Le sein est un morceau de moi, je suis le sein. Plus tard seulement : je l'ai, c'est-à-dire je ne le suis pas...
Sigmund Freud, Résultats, idées, problèmes
De quel modèle Bion a-t-il déduit de sa théorie ? Pas de l'observation d'enfants mais de son expérience clinique avec des adultes régressés. Il rapporte une bonne séance avec un patient analysable. Il se réfère à sa propre capacité de rêverie sur ce patient pendant la séance, ainsi qu'à son interprétation d'après la manière dont la communication de patient se modifie, et d'après la capacité de celui-ci à interpréter lui-même ce qu'il éprouve pendant la séance.
André Green, Penser la psychanalyse
Est-il possible de construire une théorie psychanalytique de la pensée en faisant l'impasse sur la littérature philosophique ? Probablement pas. Tout psychanalyste choisit les philosophes avec lesquels il se trouve, sinon pleinement d'accord, au moins dans une certaine adéquation.
André Green, Penser la psychanalyse
On est souvent confronté, dans l'analyse, à une crise d'angoisse subite et massive de l'analysé, qui interdit, pour ainsi dire, à celui-ci la poursuite de la cure. On parle de culpabilité, d'œdipe, de peur de castration [...]. Mais on analyse en vain [...]. En fait ces crises sont provoquées par l'approche d'un matériel particulier, qui est l'introjection du phallus paternel, mais sur un mode anal spécifique. Il s'agit de l'appropriation de l'objet partiel sur un mode profond, archaïque, animal, quasi organique, niveau qui échappe au conscient mais qui n'en pèse pas moins sur le Moi fragile de l'analysé.
Béla Grunberger, Narcisse et Anubis
En utilisant sa capacité d'identification, Bion a pu, grâce à l'analyse de ses patients et à son auto-analyse, conceptualiser l'origine de l'activité psychique, notre supposé point de départ, tout au moins pour la fiction que nous construisons sur nous-mêmes et sur les autres. Il l'a appelée « primordial mind », la psyché primordiale.
André Green, Penser la psychanalyse
Au cours de mes conversations avec Bion, j'ai été frappé par son grand intérêt pour Descartes. Pour lui, le but cartésien de parvenir à des “idées claires et distinctes” pouvait également s'appliquer à la psychanalyse - c'était en tout cas une tâche que nous devions poursuivre dans le domaine de la théorie.
André Green, Penser la psychanalyse
L'adulte qui veut entrer en contact avec la vie affective du groupe affronte une tâche aussi formidable que celle qu'affronte le nourrisson dans ses efforts pour établir des relations avec le sein maternel, et l'insuccès de ses efforts se manifeste par une régression.
Wilfred R. Bion, Recherches sur les petits groupes
La thérapie familiale analytique est une thérapie par le langage du groupe familial dans son ensemble, fondée sur la théorie psychanalytique des groupes. Elle vise, par la réactualisation, grâce au transfert, des modes de communication les plus primitifs de la psyché, par le rétablissement de la circulation fantasmatique dans l'appareil psychique (familial), à l'autonomisation des psychismes individuels de chacun des membres de la famille.
André Ruffiot, La thérapie familiale psychanalytique
L'analyste qui fait un authentique travail d'analyse ne se met donc pas en position de « se souvenir » ; il ne tente pas consciemment de connaître, comprendre ou formuler le présent en tournant son attention vers le passé. Il vit plutôt l'analyse sur un mode rêveur - il rêve la séance d'analyse.
Thomas H. Ogden, Cet art qu'est la psychanalyse
Un diagnostic du type "psychotique" ou "cas limite" ne laisse pas de place pour l'élaboration, la spéculation, la conjecture ; il restreint les possibilités d'expansion. L'analyse ne doit pas nous contraindre au point de ne laisser aucune place pour le développement et la croissance.
Wilfred R. Bion, Bion à New York et à São Paulo
C'est là un point à prendre d'autant plus en compte dans le cas où une impulsion émotionnelle nous incite à reléguer un de nos patients dans les catégories de "sans espoir" ou de "psychotique". Avant d'agir sous ce genre d'impulsion, nous devons nous demander si "sans espoir" ou "psychotique" ne sont pas des qualificatifs qui éclairent notre propre état psychique, plutôt que celui du patient.
Wilfred R. Bion, Bion à New York et à São Paulo
La plupart d'entre nous l'ignorent, mais nous sommes mus d'un côté par une force qui nous mène vers l'extérieur, vers un résultat, une manifestation, une activité, une action, une parole, et d'un autre côté par une force qui nous conduit vers l'intérieur, vers un ressenti, un sentiment, une introspection.
Amiyo Devienne, entretien avec Catherine Maillard, Je danse donc j'existe
On l'appelle jeu de la bobine ou fort-da, depuis la découverte magistrale de Freud observant le jeu de contraires de son petit-fils et comprenant que l'enfant y découvre du sens. Cela peut se produire avec n'importe quel jeu de contraires, mais pour le petit-fils de Freud, c'est une bobine qu'il lance et ramène, qu'il fait alternativement disparaître et réapparaître. L'absence temporaire de la mère a plongé l'enfant dans le désespoir jusqu'à ce qu'il découvre, dans une illumination, que l'objet qui va et vient, entre absence et présence, peut mimer le mouvement de la mère, donc représenter celle-ci et qu'elle peut revenir « autrement ». C'est dans un insight, dans un état de transe, que lui apparaît le sens de l'objet : la bobine peut représenter sa mère et, même lorsque celle-ci est absente, le symbole reste là, bien présent, permettant à l'enfant de la retrouver autrement. Il a découvert le symbole, le sens.
France Schott-Billmann, La thérapie par le danse rythmée
Avant d'avoir étudié le zen pendant trente ans, j'ai vu les montagnes comme des montagnes, les rivières comme des rivières. En avançant sur le chemin de la connaissance, j'en suis arrivé au point où j'ai compris que les montagnes ne sont pas des montagnes, les rivières ne sont pas des rivières. Mais maintenant que j'ai pénétré dans la fine substance de la connaissance, je suis serein car de nouveau, je vois les montagnes comme des montagnes, les rivières comme des rivières.
Ch'ing-Yian