L'état dans lequel le moi garde la libido auprès de lui-même, nous l'appelons narcissisme, en souvenir de la légende grecque de l'adolescent Narcisse, resté amoureux de sa propre image en miroir.
Nous attribuons donc à l'individu un progrès qui le fait passer du narcissisme à l'amour d'objet. Mais nous ne croyons pas que la libido du moi soit jamais transférée aux objets dans sa totalité. Une certaine quantité de libido demeure toujours auprès du moi, une certaine dose de narcissisme se perpétue en dépit d'un amour d'objet hautement développé. Le moi est un grand réservoir à partir duquel la libido destinée aux objets se répand, et vers lequel elle reflue à partir des objets. La libido d'objet a commencé par être libido du moi et elle peut se transmuer à nouveau en libido du moi. Il est essentiel à la plénitude de la santé d'un individu que sa libido ne perde pas la plénitude de sa mobilité. Pour concrétiser ce rapport, pensons à un animalcule protoplasmique dont la substance liquide consistante émet des pseudopodes, des excroissances dans lesquelles la substance corporelle se prolonge, mais qui peuvent être résorbées à tout moment, de sorte que la forme de la petite masse protoplasmique se reconstitue.
Sigmund Freud, Une difficulté de la psychanalyse