Peut-être faut-il que nous nous pénétrions de l'idée qu'on ne parle
jamais de l'enfant. Parce que les adultes qui parlent de l'enfant
portent encore en eux leur enfance dont l'enseignement de la
psychanalyse a montré qu'elle ne passait jamais avec le temps, mais
qu'elle demeure intacte dans l'adulte. Cet enfant omniprésent dans
l'adulte et dictant ses vues les plus apparemment objectives n'est pas
l'enfant-dans-le-monde, pas plus qu'il n'est l'enfant-dans-la-famille ;
il est l'enfant intériorisé, l'enfant s'intériorisant lui-même après
qu'il a introjecté les imagos parentales qui sont constitutives de sa
réalité psychique. La psychanalyse doit renoncer à la recherche de
l'enfant "en soi", non parce que celui-ci est inaccessible, mais parce
qu'un tel enfant est une fiction de l'adulte qui prétend son enfance
révolue. Or la révolution psychanalytique a montré que la prétendue
révolution de l'enfance est un mythe. Il existe bien des fixations
infantiles qui commandent des régressions plus ou moins massives. Mais
ces fixations et ces régressions témoignent plutôt, de la part de ceux
qui les subissent, non de l'attachement à leur enfance, mais d'un rejet
de celle-ci.
André Green, L'enfant modèle in La diachronie en psychanalyse