Il [Wilfred Bion] reprend et modifie la théorie freudienne du pare-excitation. Au lieu de considérer le pare-excitation comme une couche cornée inorganique qui protège l'appareil perception-conscience des excès de stimulations externes et permet, grâce à leur projection à l'extérieur, de traiter les stimuli désagréables internes comme des stimulations externes, il en fait un appareil vivant, un transformateur des agrégats de stimuli en matériau psychique susceptible d'entrer dans des combinaisons de scénarios fantasmatiques ou de raisonnements abstraits. Ce pare-excitation (ce que Bion appelle la fonction alpha) commence par être situé dans l'appareil psychique de la mère. On sait que selon Bion, les projections du nourrisson ne se perdent pas dans l'espace. Elles sont adressées par identification projective à une cible, l'agent maternant préconçu, qui les accueille, les contient et les transforme par son activité mentale, dite de rêverie. La rêverie maternelle est la matrice du pare-excitation de l'enfant (de sa fonction alpha). C'est en introjectant l'activité de rêverie de la mère que l'enfant devient à son tour capable de traiter et de transformer en pensées aussi bien les stimulations venant de l'extérieur (ses perceptions) que les excitations venant de l'intérieur d'amour ou de haine, le sujet établit un lien de connaissance, le lien K, qui lui permet d'ordonner son monde intérieur et son environnement, de choisir des points de vue (Bion dit des vertex) et des faits significatifs « choisis » pour passer du chaos de la position dite dépressive, processus de construction, de déconstruction et de reconstruction successives, sous-tendu par une « capacité négative » à tolérer l'incertitude, un terme emprunté au poète anglais Keats.
Jacques Hochmann, Le plaisir de penser, préface à La psychopathologie aujourd'hui