Le complexe d’Œdipe se révèle donc, ainsi que nous l’avons déjà admis d’un point de vue historique, comme la source de notre éthique individuelle (la morale). Au cours du développement de l’enfant, qui conduit à un détachement progressif à l’égard des parents, l’importance personnelle de ceux-ci cède la place au surmoi. Aux images qu’ils ont laissées viennent ensuite se rattacher les influences des maîtres, des autorités, des modèles spontanément choisis et des héros reconnus par la société, personnes que le moi, devenu plus résistant, n’a plus besoin d’introjecter. La dernière figure de cette série qui débute avec les parents est le Destin, puissance obscure que seuls très peu d’entre nous parviennent à concevoir de façon impersonnelle. Lorsque le poète hollandais Multatuli remplace la Μοϊφα des Grecs par le couple divin Λόϒος χαί ΆνάΥχη il n’y a guère à redire ; mais tous ceux qui transfèrent la conduite du cours du monde à la Providence, à Dieu ou à Dieu et à la Nature nous font soupçonner qu’ils continuent de ressentir ces forces, les plus extérieures et les plus lointaines qui soient, comme un couple parental — au sens mythologique — et qu’ils se croient rattachés à elles par des liens libidinaux. Dans Le moi et le ça j’ai tenté de déduire aussi d’une telle conception parentale du Destin l’angoisse réelle de mort éprouvée par les êtres humains. De cette conception il semble très difficile de se libérer.
Sigmund Freud, Le problème économique du masochisme