Ne me parle pas de la mer, plonge. Ne me parle pas de la montagne, gravis. Ne me parle pas de ce livre, lis, avance plus loin encore ta tête dans l’abîme où ton âme se perd.
Pascal Quignard, La critique du jugement
jeudi 30 mars 2017
mercredi 29 mars 2017
mardi 28 mars 2017
Le noyau de ce que nous appelons amour est formé naturellement par ce qui est communément connu comme amour et qui est chanté par les poètes, c'est-à-dire par l'amour sexuel, dont le terme est constitué par l'union sexuelle. Mais nous n'en séparons pas toutes les autres variétés d'amour, telles que l'amour de soi-même, l'amour qu'on éprouve pour les parents et les enfants, l'amitié, l'amour des hommes en général, pas plus que nous n'en séparons l'attachement à des objets concrets et à des idées abstraites. Pour justifier l'extension que nous faisons ainsi subir au terme « amour », nous pouvons citer les résultats que nous a révélés la recherche psychanalytique, à savoir que toutes ces variétés d'amour sont autant d'expressions d'un seul et même ensemble de tendances, lesquelles, dans certains cas, invitent à l'union sexuelle, tandis que dans d'autres elles détournent de ce but ou en empêchent la réalisation, tout en conservant suffisamment de traits caractéristiques de leur nature, pour qu'on ne puisse pas se tromper sur leur identité (sacrifice de soi-même, recherche de contact intime).
Nous pensons qu'en assignant au mot « amour » une telle multiplicité de significations, le langage a opéré une synthèse pleinement justifiée et que nous ne saurions mieux faire que de mettre cette synthèse à la base de nos considérations et explications scientifiques.
Nous pensons qu'en assignant au mot « amour » une telle multiplicité de significations, le langage a opéré une synthèse pleinement justifiée et que nous ne saurions mieux faire que de mettre cette synthèse à la base de nos considérations et explications scientifiques.
Sigmund Freud, Psychologie collective et analyse du moi
vendredi 24 mars 2017
jeudi 23 mars 2017
mercredi 22 mars 2017
Dans les pages qui vont suivre j’apporterai la preuve qu’il existe une technique psychologique permettant d’interpréter des rêves et qu’avec l’application de ce procédé toute espèce de rêve se révèle être une création psychique chargée de sens qui doit être rangée à un endroit localisable dans le fonctionnement psychique actif de l’état de veille. J’essaierai en outre d’expliquer clairement les processus à l’origine du caractère étrange et inconnaissable du rêve, puis d’en tirer une conclusion rétrospective sur la nature des forces psychiques dont la coopération ou l’action antagonique provoque le rêve. Une fois parvenu à ce terme, mon exposé s’interrompra, dès lors qu’il aura atteint le point où le problème de l’activité onirique débouche dans des problèmes plus globaux, dont la solution doit par force être abordée sur la base d’un autre matériau.
Sigmund Freud, L'interprétation du rêve
Sigmund Freud, L'interprétation du rêve
mardi 21 mars 2017
Ne pas dire un mot de toute une journée, ne pas voir de journal, ne pas entendre de radio, ne pas écouter de commérage, s'abandonner absolument, complétement à la paresse, être absolument, complètement indifférent au sort du monde, c'est la plus belle médecine qu'on puisse s'administrer.
Henry Miller, Le Colosse de Maroussi
Henry Miller, Le Colosse de Maroussi
lundi 20 mars 2017
En assignant un nom à certains phénomènes, surtout à ceux qui contrarient nos attentes, nous croyons les éclairer et commencer par là à nous en rendre maîtres. La dénomination devient vite un mot de passe qui rassure et dispense de toute interrogation. Il arrive que le mot écrase le sens.
J.-B. Pontalis, Perdre de vue
J.-B. Pontalis, Perdre de vue
jeudi 16 mars 2017
mercredi 15 mars 2017
mardi 14 mars 2017
Un patient de Hanna Segal à qui elle avait donné une interprétation œdipienne lui avait répliqué à peu près : "Je ne suis pas venu chez vous pour entendre des interprétations pareilles." Le choix de l'analyste est ainsi souvent une claire manifestation chez le patient de sa phobie de la cure. Choisir tel analyste de telle école peut même être une façon très sûre d'éviter complètement l'analyse. Lors de tout entretien préliminaire, nous devrions ainsi nous interroger : quelle peur veut-il conjurer, qu'est-il venu éviter en s'adressant à moi ? Et, de mon côté, quelle gêne suscite en moi ce patient ? De quelle peur potentielle cette gêne pourrait-elle l'indice ? À quel instant de cet entretien ai-je été tenté de l'interrompre ou d'orienter autrement l'entretien afin d'éviter ce qu'il allait me dire ? Et pourquoi avoir imaginé un instant orienter ce patient vers un collègue alors que j'ai du temps ?
Paul Denis, Rives et dérives du contre-transfert
Paul Denis, Rives et dérives du contre-transfert
vendredi 10 mars 2017
jeudi 9 mars 2017
L'otium est un terme latin qui recouvre une variété de formes et de significations dans le champ du temps libre. C'est le temps durant lequel une personne profite du repos pour s'adonner à la méditation, au loisir studieux. C'est aussi le temps de la retraite à l'issue d'une carrière publique ou privée, par opposition à la vie active, à la vie publique. C'est un temps, sporadique ou prolongé, de loisir personnel aux implications intellectuelles, vertueuses ou immorales avec l'idée d'éloignement du quotidien, des affaires (negotium), et d'engagement dans des activités valorisant le développement artistique ou intellectuel (éloquence, écriture, philosophie). L'otium revêt une valeur particulière pour les hommes d'affaires, les diplomates, les philosophes ou les poètes.
Sénèque loue les mérites de l'otium et le considère comme la caractéristique de l’homme vraiment libre, mais en ajoutant qu’il est bon de le consacrer à un rôle social ou politique dans la cité.
wikipedia.fr
Sénèque loue les mérites de l'otium et le considère comme la caractéristique de l’homme vraiment libre, mais en ajoutant qu’il est bon de le consacrer à un rôle social ou politique dans la cité.
wikipedia.fr
mercredi 8 mars 2017
mardi 7 mars 2017
Une chose n'est pas ce que vous dites qu'elle est... Elle est bien plus. C'est un ensemble au sens le plus large. Une chaise n'est pas une chaise. C'est une structure d'une complexité inconcevable, atomiquement, électroniquement, etc. Par suite, la penser comme une simple chaise constitue ce que Korzybski appelle une identification. C'est la totalité de ces identifications qui produit le névrosé, le non-sain et l'insensé.
Anonyme cité par A. E. Van Vogt, le cycle du Ā
Anonyme cité par A. E. Van Vogt, le cycle du Ā
jeudi 2 mars 2017
mercredi 1 mars 2017
La « delectatio morosa »
Le rapport étroit qui lie le plaisir au désir a fait s'ouvrir, dans le champ de la philosophie morale, une problématique que les théologiens chrétiens ont désignée, dès la seconde moitié du XIIe siècle, par l'expression de delectatio morosa. Or, cette expression, quand on la traduit en français par « délectation morose », conduit à une sorte de contresens. Car l'épithète morosa dont il est question ici désigne non une complaisance dans une quelconque pensée attristante, mais le plaisir que l' imagination savoure délicieusement tandis qu'elle s'attarde (moratur en latin) dans le désir d'un objet qui demeure absent, parce qu'inaccessible ou interdit.
Or, la conception d'une telle delectatio inhérente au désir même représente un tournant important par rapport à celle que se faisait de ce dernier l'Antiquité grecque. Pour Platon, en particulier, les appétits du corps et de la sensualité sont irrémédiablement insatiables, qu'il s'agisse - selon la triade mentionnée dans La République (580e) et appelée à devenir traditionnelle - de la nourriture, de la boisson ou des voluptés érotiques, à quoi il faut ajouter l'argent comme moyen de se procurer de tels plaisirs. Par rapport à chacun de ces objets, l'âme désirante, semblable à la jarre percée des Danaïdes, voit indéfiniment s'échapper ce qu'elle vient d'atteindre : plus elle cherche à se remplir, plus elle se vide. Le désir, hormis chez celui qui se donne pour objet la sagesse, est donc condamné à renaître toujours dans l'insatisfaction et l'insatiabilité.
Or, s'appuyant sur la parole évangélique selon laquelle « quiconque regarde une femme pour la désirer a déjà commis dans son cœur l'adultère avec elle » (Matthieu, V, 28), les auteurs chrétiens problématisent de manière toute différente ce rapport entre le plaisir et le désir. Ils s'attachent à considérer - et à dénoncer, puisqu'il s'agit, à leurs yeux, de convoitises interdites - moins l'insatiabilité de ce dernier que la présence en lui du plaisir même, comme si la simple représentation imaginaire de l'objet désiré procurait une jouissance analogue à celle de la possession effective. C'est dans le cadre d'un débat sur le degré de culpabilité qui pourrait grever le mouvement spontané de la sensualité (primus motus sensualis) avant le consentement explicite de la volonté que les moralistes développent à ce sujet, au Moyen Âge surtout, le topos de la delectatio morosa, c'est-à-dire une véritable psychologie du plaisir qu'apporterait le fait de savourer avec complaisance la représentation imaginaire d'un acte prohibé.
Mais, comme on l'a dit, cette expression de delectatio morosa, qui, par elle-même, n'évoquait l'idée assombrissante de culpabilité que pour la morale chrétienne (qui plus tard taxera cette attitude psychique de « péché par pensée »), pose un problème de traduction dans les langues où l'épithète “ morose ” (comme en français et en anglais) sert généralement à qualifier un état morbide, empreint de tristesse ou de rumination chagrine. Le latin morosus, en effet, a une double étymologie : dans un cas, écrit avec la première syllabe longue, il dérive de mos, moris (« trait de caractère », avec la nuance péjorative d'humeur difficile, sombre et acrimonieuse); dans l'autre, avec la première syllabe brève, il vient du verbe moror, -aris (s'attarder) et du substantif mora (retard, arrêt, pause). Comme le français (sauf dans l'actuel vocable moratoire) et l'anglais n'ont retenu que le sens correspondant à la première étymologie, il leur est très difficile de comprendre l'épithète médiévale morosa qui se réfère au second sens et qui qualifie la jouissance que, dans son propre cœur, on peut tirer du désir lui-même. En revanche, pour l'italien, où morosità veut dire « retard [en particulier, dans l'acquittement d'une dette ou d'une obligation] » et où l'on traduit la « morosité » française ou anglaise par malinconia ou tristezza, et pour l'espagnol, où morosidad signifie également « retard » et moroso « paresseux » (« morose » pouvant alors se traduire par taciturno), le sens véritable de la delectatio morosa scolastique est plus facilement accessible, à savoir celui d'une complaisance que l'âme prend à entretenir à longueur de temps le fantasme de l'objet désiré.
Charles Baladier, Le Robert
Le rapport étroit qui lie le plaisir au désir a fait s'ouvrir, dans le champ de la philosophie morale, une problématique que les théologiens chrétiens ont désignée, dès la seconde moitié du XIIe siècle, par l'expression de delectatio morosa. Or, cette expression, quand on la traduit en français par « délectation morose », conduit à une sorte de contresens. Car l'épithète morosa dont il est question ici désigne non une complaisance dans une quelconque pensée attristante, mais le plaisir que l' imagination savoure délicieusement tandis qu'elle s'attarde (moratur en latin) dans le désir d'un objet qui demeure absent, parce qu'inaccessible ou interdit.
Or, la conception d'une telle delectatio inhérente au désir même représente un tournant important par rapport à celle que se faisait de ce dernier l'Antiquité grecque. Pour Platon, en particulier, les appétits du corps et de la sensualité sont irrémédiablement insatiables, qu'il s'agisse - selon la triade mentionnée dans La République (580e) et appelée à devenir traditionnelle - de la nourriture, de la boisson ou des voluptés érotiques, à quoi il faut ajouter l'argent comme moyen de se procurer de tels plaisirs. Par rapport à chacun de ces objets, l'âme désirante, semblable à la jarre percée des Danaïdes, voit indéfiniment s'échapper ce qu'elle vient d'atteindre : plus elle cherche à se remplir, plus elle se vide. Le désir, hormis chez celui qui se donne pour objet la sagesse, est donc condamné à renaître toujours dans l'insatisfaction et l'insatiabilité.
Or, s'appuyant sur la parole évangélique selon laquelle « quiconque regarde une femme pour la désirer a déjà commis dans son cœur l'adultère avec elle » (Matthieu, V, 28), les auteurs chrétiens problématisent de manière toute différente ce rapport entre le plaisir et le désir. Ils s'attachent à considérer - et à dénoncer, puisqu'il s'agit, à leurs yeux, de convoitises interdites - moins l'insatiabilité de ce dernier que la présence en lui du plaisir même, comme si la simple représentation imaginaire de l'objet désiré procurait une jouissance analogue à celle de la possession effective. C'est dans le cadre d'un débat sur le degré de culpabilité qui pourrait grever le mouvement spontané de la sensualité (primus motus sensualis) avant le consentement explicite de la volonté que les moralistes développent à ce sujet, au Moyen Âge surtout, le topos de la delectatio morosa, c'est-à-dire une véritable psychologie du plaisir qu'apporterait le fait de savourer avec complaisance la représentation imaginaire d'un acte prohibé.
Mais, comme on l'a dit, cette expression de delectatio morosa, qui, par elle-même, n'évoquait l'idée assombrissante de culpabilité que pour la morale chrétienne (qui plus tard taxera cette attitude psychique de « péché par pensée »), pose un problème de traduction dans les langues où l'épithète “ morose ” (comme en français et en anglais) sert généralement à qualifier un état morbide, empreint de tristesse ou de rumination chagrine. Le latin morosus, en effet, a une double étymologie : dans un cas, écrit avec la première syllabe longue, il dérive de mos, moris (« trait de caractère », avec la nuance péjorative d'humeur difficile, sombre et acrimonieuse); dans l'autre, avec la première syllabe brève, il vient du verbe moror, -aris (s'attarder) et du substantif mora (retard, arrêt, pause). Comme le français (sauf dans l'actuel vocable moratoire) et l'anglais n'ont retenu que le sens correspondant à la première étymologie, il leur est très difficile de comprendre l'épithète médiévale morosa qui se réfère au second sens et qui qualifie la jouissance que, dans son propre cœur, on peut tirer du désir lui-même. En revanche, pour l'italien, où morosità veut dire « retard [en particulier, dans l'acquittement d'une dette ou d'une obligation] » et où l'on traduit la « morosité » française ou anglaise par malinconia ou tristezza, et pour l'espagnol, où morosidad signifie également « retard » et moroso « paresseux » (« morose » pouvant alors se traduire par taciturno), le sens véritable de la delectatio morosa scolastique est plus facilement accessible, à savoir celui d'une complaisance que l'âme prend à entretenir à longueur de temps le fantasme de l'objet désiré.
Charles Baladier, Le Robert
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