Cet homme, à peine plus vieux que moi, que je salue poliment dans l’ascenseur, sait-il que c’est un petit garçon qui lui parle, un peu intimidé, un peu gêné d’avoir à parler à une grande personne, comme si lui-même en était une, et surpris, oui, presque flatté, malgré ses 50 ans, que l’autre semble y croire ? Guère plus, sans doute, que je ne connais le petit garçon que mon voisin est resté pour lui-même, ignoré de tous, et comme absurdement enfoui sous les traits d’un presque sexagénaire…
Il n’y a pas de grandes personnes. Il n’y a que des enfants qui font semblant d’avoir grandi, ou qui ont grandi, en effet, mais sans pouvoir y croire tout à fait, sans parvenir à effacer l’enfant qu’ils furent, qu’ils demeurent, qu’ils portent en eux ou qui les porte…
André Comte-Sponville, La vie humaine