Je définis par le terme de psychose un fonctionnement psychique marqué par les caractères suivants :
1. La mise en place par le Je, en fonction de la relation qui le lit au porte-parole, d’une relation de cause à effet, ou d’un ordre de causalité, ou d’une cause des origines, qui font appel à ce que j’ai défini de causalité délirante. Par ce qualificatif j’entends la construction par le Je d’une causalité non partagée et non partageable par le discours de l’ensemble. Cette « pensée délirante primaire » sur la cause pourra rester enkystée et constituer alors l’idée délirante primaire ou la potentialité psychotique, ou bien elle pourra donner lieu, lors du déclenchement de la psychose, à une systématisation, partielle ou totale, selon que nous considérons le versant schizophrénique ou le versant paranoïaque.
2. Une relation entre pulsion de vie et pulsion de mort, dans laquelle la première est toujours en danger d’être submergée par la seconde. Exister, penser, aimer, investir, sont toujours pour le psychotique le résultat d’un compromis qui ne peut se préserver qu’au prix de concessions fort importantes faites à Thanatos.
3. La particularité de la réponse apportée par le porte-parole aux acquis que l’enfant doit à sa sensorialité et à ses perceptions va agir sur la manière dont s’opèrera chez ce dernier l’étayage du pulsionnel sur le sensoriel. Au moment où devrait se faire une séparation entre ces deux vecteurs – séparation toujours partielle il vrai, mais qui n’en est pas moins essentielle pour le fonctionnement psychique – persistera toujours le risque que la sensorialité se retrouve totalement asservie au pulsionnel. La conséquence en sera que le perçu perd toute possibilité de préserver une liaison « objective » avec la chose perçue (facteur tout à fait déterminant dans la survenue du phénomène hallucinatoire).
4. La présence d’idées délirantes concernant ce qui est cause de la réalité de soi et du monde. Ces idées pourront cohabiter avec ce que j’appelle un discours rationalisateur, qui n’est que la reprise en écho d’une série de stéréotypes, d’images d’Épinal, présents dans le discours de l’entourage et dans le discours culturel : tant que cette cohabitation est possible, nous serons confrontés a l’équivalent d’un délire en secteur, quand cette cohabitation n’est plus possible, nous serons confrontés à une systématisation du délire.
5. Le renoncement de la part du sujet à croire et même à espérer qu’entre lui et les autres existent des convictions partagées concernant le registre causal. L’absence de cet espoir nous est prouvée par les deux manifestations auxquelles nous avons affaire avant que ne s’ébauche l’investissement d’une relation analytique :
- le mutisme et ses variantes;
- le monologue délirant ininterrompu qui démontre qu’aucune réponse n’est plus attendue.
Piera Aulagnier, Les mouvements d’ouverture dans l’analyse des psychoses